Loin d'ici
Moi dont le corps sert à tous les corsaires
de ce pan du monde
jamais en vérité sous mes pieds n’a vogué
le moindre navire
jamais entre mes bras flotté le moindre espar
J’ai certes sur mes bords dorloté mainte épave
maint cabestan noueux
mainte barrique
plus d’un matelot sur mon matelas
s’est pris pour un grand capitaine
plus d’un gabier grimpé
à mon nid-de-pie
a vu la terre promise
mais m’en soient témoins ce plafond
et tous les voisins
du dessus jusqu’au bon Dieu
jamais ne m’a bercée la grande pourvoyeuse
Certains soirs pourtant seule au bar tandis
que Jaime parle à sa bouteille
en me souhaitant
de riches clients
tendres comme des bébés
certains soirs j’entends du plus loin d’ici
s’approcher une musique
et me flairer l’âme
et peu à peu
elle enfle elle grandit elle m’enveloppe et m’emporte
et je vogue jusqu’au matin
jusqu’à l’autre rive
jusqu’à toi
© Alan Bathurst 2012