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Bordures du champ secret
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Les poèmes du Champ secret

Rien ne s'oppose à la nuit.

Sous la nuit

 

Contrariante aurore 

qui effractione la nuit

ta subtile venue

n'efface pas l'ennui,

la douleur alentie 

l'éternel regret

de tous ces someilleux

qui déplissent leurs paupières.

Ni la fumée du thé

ni le soleil revenant

ni les aiguilles vivantes

de l'horloge sans patience,

rien,

aucune touche lumieuse

n'assombrira la poésie

qui se forme sans contours 

sans rythme et sans césure

derrières des volets clos.

 

© Mathilda

 

Historiette


Je peux finir le chapitre ?

Je voudrais tant savoir

D’Artagnan, Milady

Et le secret d’Athos

Encore une page s’il te plaît

Rien qu’une ligne et j’éteins

 

Pourquoi devrait-il quitter

Cette histoire plus vraie que la vraie

D’amis plus sûrs que les siens

D’une vie plus claire que la vie

 

Sous l’abri frêle des draps

Lampe de poche à la main

L’enfant résiste, les yeux las

Il faudra bien plonger pourtant

Froid peur noir je ne sais pas

Les monstres de la nuit l’attendent

 

Un jour, longtemps après

Quand tout sera fini

Ou presque

Le souffle court

Il suppliera toujours

Un moment s’il vous plaît

Rien qu’une heure

 

Pourquoi doit-il quitter

Les amis changeants qui enchantent sa vie

Sa vie si claire en cet instant

Et l’histoire bigarrée qui s’est par lui écrite

Si vraie, trop vite

 

S’il vous plaît

Encore un paragraphe

Rien qu’un mot un regard

Une bouffée

Une seconde

© Alice Calder

 


 

 Ne fais pas la tête

Sans queue ni…

on l’a toute
on l’a bonne
on l’a bien faite
ou sans cervelle
de linotte


on jure dessus
on l’a forte
on l’a dure
on lui sert du Turc
on la prend
on se la prend
on la perd

on se la monte
on l’a haute
on la baisse
on la fait tourner
on l’a ailleurs
dans les nuages ou dans la lune

on la casse
on se la creuse
on la tabasse
on la tranche
on l’explose
elle implose

on ne sait plus où en donner
on se la tape contre les murs
on se la jette la première
on se la fait au carré
on se la donne à couper
on la fait de six pieds de long

on y cherche des poux
on y met du plomb
elle est mise à prix
on se la paye

on est tombé dessus
on y a mal
on l’a défaite
on la fait

on la fait


© Philippe Gérard

 


 

 Colchiques

 

Colchiqué

 

 

 

Je te croyais
féminine
assassine
colchidienne

Tu es du masculin
tu n’es que tue-chien
faux safran sans saveur
venimeuse en veilleuse
empoisonneur automnal


 © Philippe Gérard

 


 

Tu sais où j'ai été

Toi et moi

 

Tu me regardes sans me voir

Tu souris

Un sourire qui n’ose

Une frange haut perchée

Agrandit tes yeux sombres

Tu portes ce pull à damiers

Que je t’ai  déjà vu

Il te va bien.

C’est étrange

Tu sais tout de moi

Où j’ai été ce que j’ai fait

Mes déceptions mes espoirs

 

Mais moi que sais-je de toi ?

Je connais ton nom

Je devine ton âge

Mais que sais-je en vérité

De tes pensées de tes émois

De ton histoire

Quelques bribes

Tout au plus.

J’aimerais que tu me racontes

Tant d’incertitudes sont restées !

 

Tu regardes l’objectif

Un regard qui n’ose

Tu dois avoir cinq ans

Tu sais tout de moi

Mais moi

Que sais-je de toi

De toi qui es moi ?

 

 © Camille Pioz

 

 


La chair des pommes sures.

 

Le jardin

 

 

 

 

 

Nous étions hauts comme trois pommes

 

de ces petits poings de l’automne

 

ramassés dans l’allée

 

du jardin de ta tante

 

tu me les vendis trois cailloux

 

et un baiser

 

ô le parfum de tes joues

 

le goût des pommes cabossées

 

et des cailloux

 

j’en avalai un je crois

 

mais rien n’importait

 

que tes yeux

 

de ciel sur la terre

 

© Alan Bathurst 2012

 

 

 

Miroir d'automne

 

Impossible
De se déshabiller
De ce visage
Qu'on ne voit pas

Moi je mords dans mes joues
Je voudrais trouver
Dans l'ombre de mes rêves
Un visage de pomme
Dans la lumière d'automne

Loin du boisseau
Loin du couteau

 

© Christiane Loubier


Tu devrais mettre une petite laine

 

Impénétrante chaleur

 

 

 

Tu as froid dans toi.

 

Intérieur figé par les doutes,

 

Congelé par les peurs.

 

Tes larmes sont de glace.

 

Les rayons du soleil se réfléchissent sur ta peau de lune.

 

Les chaleureuses couleurs de l'automne n'atteignent pas non plus ton coeur.

 

Tu devrais mettre une petite laine

 

Sur tes maux.

 

 

©  Clédo

 


 

J'ai transformé le vieux doute ...

 

J'ai troué la voile

 

L’éclair
Je l’ai désiré plus que le vent
Mais dans tes yeux
L’iris sombre du doute

 

À l’aube du silence
Pour que rien ne dure
J’ai troué la voile
J’ai volé de nuit
Comme si j’étais l’oiseau voilier
Qui revient par le chas du temps

 

 © Christiane Loubier

 


 Et puis nous vieillirons

Les feuilles

 

Vieillies sous le soleil

Assoiffées, sevrées de sève

Racornies en menus craquements

Bientôt le vent nous emportera

Une à une, discrètement

Ou en paquets tourbillonnants

Dans le grand strip-tease automnal

 

Miette particule poussière

Retour à terre

Fondu au noir

 

Pourtant je me rappelle si vif

L’éclat de notre éclosion

Nervures en flèche vers le ciel

Je me rappelle aussi

A l’abri de notre épais nuage vert

Où le vent s’étouffait, où le soleil s’amollissait

Tant d’amoureux frémissants

Tant de siestes paisibles

Et de paroles amies par les longs soirs d’été

 

Feuille parmi tant d’autres

Je lorgne vers les signes

Que la vie trace en nous

Mais de ride en ride

Le parchemin s’encre d’inconnu

C’est tout

© Alice Calder

 


Urgence

 

 Vieillir s’apprend

ça prend du temps

Hâtons-nous d’apprendre

à prendre le temps

d’apprendre

 

© Alan Bathurst 2012

 


 

Lavez votre cerveau

Effacement

 

 

Rien n’efface une ombre

qu’une ombre plus grande

 

J’en sais une immense

qui peuple mes jours

d’images volées

à mes souvenirs

plus claires pourtant

qu’un premier été

 

qui peuple mes nuits

d’ombres de ces ombres

plus claires encore

 

De quelle clarté

luira l’autre nuit

après celle-ci

 

© Alan Bathurst 2012

 


 

 

Aucun bruit ne l'a révélé

La liberté du silence (investigation, vague et gravide)

La roue s'incruste, dentelée,
le long du sillon des veines.
Aucun écho n'a su parler.
Aucune rumeur n'a pu dire
où et qui,
comment s'est envolée, évaporée, enfuie
la trace du limon ou d'entrailles vidées.
Pas d'empreinte sur les rochers gris.
Pas de doigt pour marquer.
Pas de cris ni de chuchotements.
S'instaure ce silence à creuser.
Pas de bruit.
Je me tais.

© Tsveta

 

 

 


 

10 septembre 2012

 

 

 

Rien ne révèle ce que je pense. Ni la surface aveugle de l’écran, ni le cliquetis obsédant des touches du clavier. Encore moins. Je pense entre les lignes comme vous ne soupçonnez pas, vous, autant que vous êtes à lire mes façons, à sonder mes humeurs, à donner la leçon. Sous un toit loin d’ici, dans une ville que je ne connais pas encore… une fenêtre ouverte.  

 

Rien ne révèle ce que je suis. Ni l’encre sympathique de mon entrain, ni le verbe acéré de ma mauvaise foi. Encore moins. Je suis sur des lisières qu’ils ne fréquentent pas, eux, autant qu’ils sont à tenir le cordeau, à longer la rigole, à flatter les corbeaux. Au creux d’un chemin creux que je ne connais pas encore, dans une trouée du feuillage… un reflet soudain.

 

Rien ne révèle où je vais. Ni l’air que je déplace, ni la trace fuyante surlignée par le curseur de la machine. Encore moins. Je vais au plaisir du hasard comme nous le faisons tous, nous, autant que nous sommes à brûler les deux bouts, à flairer les occases, à survivre debout. Au bord de la falaise du ciel que je ne connais pas encore… une étoile hésite.

 

© Jean Pauly


 

La chanson foraine

Récit

 

                   Qu’étions-nous ?
                   Des enfants des écoliers
                   Ceux de la communale
                   Elevés près du sol
                   En octobre, nous courions les labours
                   Rabattre les perdrix
                   L’été nous levions des lapins
                   Devant les moissonneurs
                   Toute saison était bonne
                   Pour s’en aller guéer

                   Je me souviens j’avais dix ans
                   Un seize février.
                   Ils sont venus
                   Deux filles minuscules
                   Un garçon long presque comme le maître

                   Il les a fait s’asseoir tout au fond de la classe
                   Il a ouvert la fenêtre 
                   Je me souviens il faisait froid
                   Il a commencé une  leçon sur le mot
                   - Propre, la propreté
                   Il a arraché des feuilles sur un cahier
                   Pour leur donner. Je l'entends:
                   - Pas de crayon, qu’allons-nous faire ?
                   Propre et propreté

                   A la récréation, il nous a dit d’ouvrir
                   En grand
                   D’ouvrir en grand, d'aérer, bien aérer
                   -  A cause des odeurs
                   Je me souviens, il faisait froid
                   Sous le préau tous trois
                   Puis près de la fenêtre ouverte
                   Ils sont restés la matinée

                   L’après-midi, ils n’étaient plus là.

                   Le soir, ils dansèrent sur la place
                   Lui, faisait des gymnastiques
                   Ses sœurs, de petites révérences
                   Je me souviens, j’avais dix ans
                   Nous étions des enfants, des écoliers
                   Le père chantait.

                    Je me souviens de leurs silhouettes
                    Leur mère tendait la main
                    De ceux qui n’osent pas rentrer
                    De ceux qui regardent par terre
                    De ceux qui roulent le chapeau

                    Je me souviens l’ennui
                    Je me souviens la honte
                    Et de ce maître remplaçant
                    Qui n’a jamais rien réparé
                    Qui n’a jamais rien remplacé.

 

                  © jpr 08 septembre 2012


 

Il n'est d'honnête que le bonheur.

Sans titre (Bonheur/Mot bizarre)

Bonheur
mot bizarre
qui n’a pas d’adjectif, ou si peu

Beau mot
pour les âmes dallées
qui ne connaissent la terre battue

Mot calme
écrit au mur
de la félicité

Mot qui sonne
balnéaire
arme honnie
bouche bée-attitude


Au bonheur je préfère
l’incendie à éteindre
mais toujours couvant
mon cœur tempétueux à calmer
mais toujours soufflant
mon désir maladroit
mais toujours ardent


© Philippe Gérard

 


 

Oh, Maumariée. Quand ils t'ont trouvée.

Noces de crépon

 

Leurs larmes sur vous, Maumariées,

Comme puits asséché

Les moissons s’épuisent

En graines captives

Mouchoirs de coton

Mouchoirs de cuir

Mouchoirs de plomb.

© Camille Pioz

 


 

 

Ils sont ailleurs, bien plus loin que la nuit

 

Le ciel s’enténèbre
Au loin – plus loin que la nuit
Il y a l’entêtement de l’oiseau

Tournant blessé
Haut – très haut
Muet au-dessus du silence

L’absence est un ciel
L’adieu à l’infini
Le bout de la nuit est ici

Dans les murs
De la chambre verte
Où naissent les matins

 

© Christiane Loubier


Comme l'espérance est violente

Comme se creuse le vent

Comme j'espérais loin
et comme se creuse le temps
de se retourner
Plaf
Plaf
Par terre la violence
Par terre ou en dessous
Sous des raisins verts ou sous l'eau gribouillée
Des flaques
Plaf
Des flaques de violence tremblent sous mes pieds
Et la tête levée
Les yeux loin de la nuque
percent l'espérance
J'avançais
Oui j'avançais comme se creuse le vent

 

© Tsveta

 


 

 

 Je veux voir.

 

                                                             Tu sais donc voir vraiment ?        
                                                             Dans la pierre tu sais trouver l’eau et la lumière ?
                                                             Au chemin blanc de soleil, 
                                                             l’ombre et la paix ?
                                                             Tu veux voir ?
                                                             Tourne ton regard
                                                             Vers le visage de l’ombre

 

                                                             Tu brises la pierre
                                                             Pour y chercher de l’eau
                                                             Tu blesses tes mains aux cailloux
                                                             pour une seule étincelle
                                                             Tu creuses le chemin
                                                             Il est semé de tombes

 

                                                             Tu craches dans l’eau boueuse devant les assoiffés      
                                                             L’aveugle te montre la direction, il te faut une boussole
                                                             Et tu veux voir ?

 

                                                             Tu crois reconnaître Dieu, de dos
                                                             Et tu portes la main à son épaule
                                                             Tu veux voir, car tu veux espérer
                                                             Sais-tu que l’espérance est douce ?

                                                             Elle est douce. L’homme apprend à bercer
                                                             la femme qui attend un enfant
                                                             La femme s’abandonne au rêve de l’enfant
                                                             Ecoute, il chante doucement
                                                             Ecoute, elle chante doucement
                                                             Elle est douce comme chaque minute aujourd’hui
                                                             Douce comme ta dernière minute

                                                             Si tu sais l’entendre.

 

© JPR 

 

 

 

 

 

Porté par une petite fille    

Césure

Elle reste sur le quai
Le train part, sans fenêtre
sans cris, sans aurevoirs.
Elle reste sur le quai
Les enfants accrochés
à son costume trop noir
la portent de toutes leurs forces.
Elle reste sur le quai
et seuls ces petits-là
voient par dessous le voile
et seuls ces petits-là
n'ont pas pitié du noir.
Elle reste sur le quai
Le train part,
et l'injustice éternelle
se cicatrise doucement
à coups de feutres anodins
de caprices
d'objets cassés.
Elle reste sur le quai
Rien ne l'emporte,
rien ne la transporte
et pourtant elle accepte
d'être pétrie à vie
par les mains pleines d'amour
de subtiles magiciennes,
qui reconstruisent le sort
du haut de leur enfance.

 

© Mathilda

                                          

 

 


 

Ton courrier n'est jamais arrivé 

 

S'il vient quelque nuage

 

                                                Tu avais dit, dès la fin du printemps

                                                Et moi, s’il vient quelque nuage

                                                Tu avais ajouté… ce sera un dimanche

                                                Et moi, quand les prés refleurissent

                                                Tu avais hésité... quand viendra le regain

                                                Et moi, juste avant les moissons

                                                Tu avais chuchoté… un soir après la classe

                                                Et moi, les nouvelles sont bonnes

 

                                                Tu n’avais rien répondu

                                                J’avais tendu mes lèvres

                                                Tu avais proposé de partir en avance

                                                J’avais attendu devant notre chemin

                                                Tu avais roulé doucement dans le soleil

                                                Je m’étais serrée contre toi

                                                Tu avais laissé le vélo dans la cour de l’hôtel

                                                J’étais montée en te tenant la main

                                                Tu avais voulu parler encore

                                                Tu avais la tête sur mon corsage

 

                                               Nous avions compté à l’hôtel les minutes qui séparent

                                               Les minutes qui approchent du départ

                                               La foule osait... dès la fin du printemps

                                               Et moi, s’il vient quelque nuage

                                               La foule pensait…quand viendra le regain

                                               Et moi, quand les prés…

                                               La foule, les nouvelles sont bonnes

                                               Un homme, en passant… Juste avant les moissons !

                                               Moi sur le quai

                                               Toi sur le marchepied, nous ne répondions rien

 

                                               Le train partait, c’était prévu, on a ouvert nos mains

                                               Tu m’as écrit, dès la fin de l’été

                                               Et moi, aussitôt, j’ai répondu, sous un nuage

                                               J’ai répondu, aussitôt, un soir

                                               Après la classe

                                               Puis les nuages gris, puis les nuages noirs

                                               Puis les nuages encore

                                               Et les nuages. Les nuages. 

 

                         

 

     © JPR 15 juillet 2012


 


Feu ton silence

Une lettre improbable
Le silence tombe en moi
Comme la pierre d'un noyé

Pour ne pas t’écrire l’absence
J’ai laissé passer novembre
Puis décembre
J’ai vu les chatons gris
Le chemin dans l’arbre
Pour les fourmis

J’ai gardé ma main dans la nuit

Neiges après neiges
Avec écorce et alphabet
J’ai fabriqué des volets
Pour ouvrir – Pour fermer
Cœur et paupières

Aujourd’hui dans l’amélanchier blanc
Palpite l’oiseau du vent
Ton silence j’y mets le feu
Je t’écris de mai
Dans le bruit des fleurs
Je t’écris de mai
Sur du papier glacé.

 

© Christiane Loubier


Ce sera mieux demain

Poème en x

 


Equation. Plus ou moins l'infini.

Plutôt plus que moins.

Vital chiffrage

D'un monde trop connu.

 

Equation. Sans y penser,

"J'écris par soustraction"

A-t-il dit.

Infinitésimale

solution à rien du tout.

 

Equation. Promesse

d'un inconnu,

D'un croisé mystérieux

Qui survivrait à toutes les embûches

signalétiques de l'équation.

 

Equation. Certitude de ne jamais

être découvert. Il reste un x alors je peux dormir tranquille.

Tout n'est pas su, tout reste à savoir.

 

Equation : phrase d'un autre langage

à ne jamais résoudre,

sous peine de s'endormir

sans espoir d'un demain.

 

© Mathilda

 

 


 

 

Souvent la musique me prend comme une mer

Fusions

 Souvent la musique m’emporte

 Frisson de sel, bâbord amures

 Le coeur se gonfle sous le vent

 Et comme la mer me dénoue

 La musique me dit nous

 

 Si tu chantes pour nous

 Les gens taiseux aux yeux écarquillés

 Tu donnes et tu reçois un baiser liquide

 Tu bois la tasse, la mer t’avale

 Et tu te vomis toi-même, ébloui de lumière

 Noyé des eaux profondes remonté au grand jour

 

 Si tu chantes avec nous,

 Harmonie de la houle au petit matin calme

 Tu te fonds dans le choeur, étreinte verte

 Velours suave, infini et puissant ressac

 Où se diluent ta voix, ton histoire

 

 Ensemble

 Certains entonnent des hymnes vengeurs

 Ils tendent leur bras droit, rigide vers le chef

 Mille nageurs-machines prêts à fracasser

 Sur les brisants tous ceux qui les gênent

 Quand il ressemble au cri des loups

 Le chant de la mer me glace

 

© Alice Calder

  


 

Un oeil sur le fleuve 

Je suis né ici

 

J’en suis sûr
La première fois que j’ai ouvert les yeux
c’était pour regarder le fleuve
réveillé par la sirène d’un quelconque 
cargo passant sous la fenêtre

À ma gauche en amont la raffinerie de sucre
À ma droite la centrale électrique au fuel
Face à moi la gare de Chantenay et derrière
l’usine de produits chimiques
Un cocktail mortel pour la vie
De quoi ne plus jamais ouvrir les yeux

Aujourd’hui plus de raffinerie
plus de centrale ni d’usine
la gare encore et la maison où je suis né
dessous, presque, l’avant-dernier pont sur le fleuve

C’est pourquoi
à jamais sans doute
j’ai l’âme estuaire
le spleen postindustriel
le marais dans le cœur
et la nostalgie du fleuve remontant vers sa
source


© Philippe Gérard

 


 

 Il ne suffit pas de changer d'adresse

 

Inaltérable

 

 Tu peux tout changer.

 La couleur de tes volets

 Les chiffres au-dessus de ta porte

 Le nom sur la boîte aux lettres

 Cela ne suffira pas.

 Tu peux tout emporter.

 Les couplets de notre histoire

 Les photos dans leurs vitrines

 Et nos murmures sous cellophane

 Pour t’envoler trois rues plus loin

 Cela ne suffira pas.

 Tu peux toujours si cela t’amuse

 Partir pour les  îles inexplorées

 Voir l’eau tomber à contresens

 Faire l’acrobate la tête en bas

 Cela ne suffira pas

 A t’éloigner de moi.

 Tu peux aussi si cela te chante

 Te prendre pour l’un de ces bateaux

 Ballottés par les horizons facétieux

 Et qui ne retrouvent pas le nord.

 Je n’ai pas besoin de faire un pas

 Ni de bouger le petit doigt

 Pour que tu sois avec moi.

 Où que tu sois.

 J’ai ton sourire

 Au détour de mes chemins.

 J’ai ton sourire

 Pour chaque ombre de la nuit.

 Sais-tu que la musique que je fredonne

 C’est la chanson de ta voix ?

 Que tous les pores de ma peau

 Ont le souvenir de ton corps ?

 Et tu peux même si tout se gâte

 Te murer au plus profond de l’enfer.

 Cette éternité n’a pas d’importance.

 Je saurai bien t’y retrouver.

 

© Camille Pioz

 


 

Et les murs, les murs, les murs

 

Les plis

 

 Soigneusement, deux femmes sous le soleil, replient le temps

 Deux femmes massacrées sur les bords de la Glane

 Replient le temps

 Chaque pli, chaque pile, chaque enfant, chaque passant

 Chaque pas sur la ligne du tram à Oradour

 Replie le temps

 Un oiseau posé dans les ruines, un volet au vent

 Ferment le ban

 

Les doigts des murs dressés vers le ciel

 Les maisons une à une crevées de haine

 Les maisons exorbitées  attendent

 Sur la place d’Oradour où le vide prend source

 Les rires, les jeux, le pas des hommes, les autos

 S’arrêtent

 Sur la place où rien ne s’entend, j’écoute la vie

 J’écoute l’effroi

 Tour à tour surgissent les jeux, les cris, les rires, les flammes,

 Les loups, les coups de feux, la cour d’une école, le pas des hommes

 Les innocents

 

Soigneusement, deux femmes sous le soleil, replient le temps

 Les draps tachés, les draps brûlés, les draps souillés de haine

 Derrière les murs d’Oradour

 Deux femmes massacrées, deux femmes seules replient le temps

 Et bercent leur enfant

 Toujours elles recommencent, toujours elles plient

 Rien ne s’oublie

 

Derrière les murs d’Oradour

 Au loin, qui se rapprochent

 De Hongrie, de Serbie, dans les berceaux du monde

 J’entends claquer les bottes

 J’entends roter la haine

 Plus elle se renforce, plus elle crie

 Hier soir au journal, mécanique et scandée

 La voix répète : Autre, haine, Autre, haine

 Le journaliste tente : « vous l’avez-déjà dit »

 Mais elle bégaie  son histoire

 Sans s’occuper du bonhomme

 Comme toujours

 Toujours la même

 

Passant, souviens-toi

Tandis qu'elle vocifère. 

 

© Jean-Paul Raffel.  Oradour, le 10 juin 2012

 


En cette fin d'été

 

                                                                                          28 mai 2012

 

 

Dans l’église, la chaise qu’on déplace fait un boucan d’enfer et résonne encore dans mon crâne de vieux. Il manque une dent à mon sourire. Je vais vers mon âge. Des pissenlits poussent dans le bac à sable. Ça ne jointe plus entre les jours et les nuits. Les jeunesses gambadent en contrebas, je les rêve toutes pour n’en avoir aucune. Toutes pour n’en avoir aucune.  

 

Les guêpes de cette fin d’été cognent contre les vitres. Sèm vièlhs disait mon père en reprenant son souffle sur la chaise de l’hôpital. Il parlait par delà, pour nous tous, ses aïeux, sa descendance, dans la pente du temps. Sèm vièlhs. Le soleil donne encore ce qu’il peut. Je me récite alors toutes ses dernières paroles pour n’en tenir aucune. Toutes pour n’en tenir aucune.

 

Lentement, la cuillère tourne dans la tasse et soulève des nuages de café. La veille, j’ai sorti le beurre du frigidaire pour qu’il se fasse à la mollesse, celle des nuits de veille, des robes de chambre, des herbes lasses, des escargots dans la salade et des brumes de septembre. Je déchire toutes les feuilles du calendrier pour n’en garder aucune. Toutes pour n’en garder aucune.

 

       © Jean Pauly

 


 

 

 


 

Histoire d'amour à jamais

A jamais plus

 

Je me réveille avec un cri

Ce n’est pas un rêve

Je suis où tu n’es plus

Une détonation en mer

Non – un bruit comme le tonnerre

Lorsqu’il tombe en pierre

 

Tu ne désirais pas l’été

Tu n’aimais que la nuit

Les fleurs d’orage

Les cordes de pluie

 

Ta nuit aimée est si lente

Trop courte pour l’absence

Je l’ai poussée dans le fond du jour

La mort a sa lumière – disais-tu

J’invoque un soleil

Pour assécher mes yeux

 

Le temps est fidèle

Il  demeure

Tu es là

Tes bras – ta croix

Et le foin

Pour toujours – À jamais plus

 

L’éternel été fait reculer l’ombre

Raconte un peu de ta lumière

Coulant dans ma nuit

Où se calme le temps

 

©  Christiane Loubier


 

D'amour à jamais

 

 

On m’a crevé les yeux depuis je vole par cœur

embobiné

par la roue qui tourne au ciel

on m’a crevé les yeux depuis je vole de mon propre chant

d’amour flottant d’amour crinière

une résille de pleurs sous mon front reprisé

histoire à jamais

 

Fuir là-haut fuir depuis je vole à temps plein

histoire d’amour à jamais

la roue qui tourne au ciel me prend à la gorge

me piège m’engoule

 

Oh mon petit

les mains m’en tombent

d’amour à jamais

 

Fuir éperdu dans l’amnésie

cramponné au plus intime nuage

me fondre au mica

du giron céleste

histoire à jamais d’amour

abîmé en mer à jamais

 

On m’a crevé les yeux je te vois mieux ainsi

 

 

© Alan Bathurst 2012            

 

 

 


 

 

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